Nice
Ça y est, je suis partie, prête à « entrer en vacances », grâce au réveil qui a sonné tôt. Un fin croissant de lune lumineux était encore visible dans le ciel. Je suis arrivée dans cette étrange gare qui vous parque en souterrain quand on pourrait aller à l’étage profiter de la lumière (la Gare de Lyon).
Pendant le trajet, j’étais assise aux côtés d’un jeune homme sans âge sous son masque chirurgical. Il était long, hâlé et blond avec des bouclettes adorables et portait des vêtements de sportif. Il avait peut-être vingt ans de moins que moi. Il a bien dormi sans ronfler, mangé des biscuits dont le papier qui se froisse, sonore, m’a tirée de mon sommeil, dévoré un sandwich maison, enroulé dans son sopalin, s’est enthousiasmé à l’approche de la mer qu’il a photographiée et envoyée à ses amis qui lui répondaient du tac au tac. Il a même tenté de lire Le Gai savoir, de Nietzsche, et ma curiosité n’en pouvait plus de se retenir.
Mais je l’ai laissé tranquille et je me suis abstenue de tout ce qui aurait pu, de près ou de loin, ressembler à une « interview ».
On sait qu’on s’approche de la mer quand les reliefs vallonnés couverts d’arbustes et de haies laissent place, depuis la vitre du train, à des arrière-cours dans lesquelles les habitants ont garé … leurs bateaux. Puis la Grande bleue s’encastre enfin en grand dans le paysage de la fenêtre.
Nice. Six heures de train plus tard. La gare semble minuscule. Le parvis, petit. On aurait presque oublié, avec nos habitudes de gares parisiennes, que Paris n’est pas le modèle partout ! Et heureusement ! Sac sur le dos – allergie à la valise qu’il faut tout le temps porter dans les escaliers ou au-dessus des caniveaux – je parcours la ville à la recherche d’un hôtel. C’est dimanche mais les magasins de la longue avenue Jean-Médecin, qui relie quasiment la gare principale à la mer, sont ouverts.
Face à la Méditerranée, je mange une focaccia. Sous le parasol de bar, la chaleur manque de m’étouffer.
Promenade.
Sur la prom’ le moindre coin d’ombre au pied d’arbres qui bordent la piste cyclable sont assaillis. Ça cogne. Il fait vingt-sept degrés. Arrivée au carrousel près de la place Masséna je souris. Un petit garçon aux lunettes noires trop grandes pilote un avion brun. On sent que pour lui, rien d’autre n’existe à ce moment précis que la mission qui est la sienne, tournant sur son manège, investi.
Dans ce parc, des Italiens font des selfies. La ville est cosmopolite. On y parle toutes les langues. On croise toutes les nationalités qu’on s’amuse à deviner en un regard.
Dans le kiosque à musique, on répète des airs classiques et les musiciens, tous vêtus de noir, saluent après chaque interprétation en une courbette soignée. Des personnes âgées, bien alignées sur les chaises pliantes dressées en leur honneur, taiseuses sous leurs masques assortis et à l’ombre, applaudissent après chaque morceau. C’est réussi.
En contrebas, la plage est noire de monde. Personne n’est masqué.
La tenancière de l’hôtel manifestement s’ennuie dans le petit recoin terne dans lequel elle se replie quand il n’y a pas de clients à l’accueil. Elle croyait que je réservais pour quelqu’un d’autre que moi. Mon double ? Je suis pourtant venue seule, même si mon enfant intérieur m’accompagne et que le voyage est propice à la réflexion, malgré soi. Des bribes de mon enfance, de mon éducation, des valeurs et des habitudes ancrées sous ma peau rejaillissent quand je ne les attends pas, alors que je pensais les avoir laissées au vestiaire, délestée.
Se baigner à « la réserve » une plage étroite, plus secrète et charmante que celle jouxtant la Prom’, à laquelle on accède après avoir dépassé le vieux port, me délasse. Je me lave de mes pensées périmées.
Je conseille aux futurs touristes qui feront escale à Nice, au retour de la plage de la Réserve, le restaurant le San Juan, sa grande terrasse, son serveur avenant, taillant la bavette avec touristes et habitués, un mot gentil pour tous, sa salade italienne généreuse (au melon aussi bien choisi que Diego l’Argentin madrilène sait le faire pour les pique-nique parisiens) et son rosé, à se damner (le « Magic » de Saint-Tropez).
Ah oui. Mes orteils vont bien, eux aussi, déconfinés dans leurs sandales. Et j’ai revêtu la petite robe d’été, celle dont mon amie Emilie disait, il y a vingt ans de cela, qu’on avait « de la chance, nous, les femmes, de s’offrir ces courants d’air qui nous soufflent entre les pans de tissu, une tenue légère que les hommes pouvaient nous envier »… et qui n’est toujours pas entrée dans leur dressing !!
À demain pour de nouvelles observations de voyage !
Sophie Ughetto